« faire participer le lecteur par la remise à zéro du langage
Nanni Balestrini
séquence d’images tirées comme des slogans
l’attaque doit être minutieusement préparée
dans une perspective révolutionnaire »

Chaosmogonie est la preuve qu’il n’y a pas deux Balestrini — d’un côté, le poète d’avant-garde ; de l’autre, le militant de l’autonomie, co-fondateur de Potere Operaio (Pouvoir Ouvrier) en 1967.
Tous les poèmes de ce recueil sont « montés », c’est-à-dire que les phrases ou fragments sont repris, déplacés, répétés, et que ce sont justement ces reprises (de Bacon, de Cage, de Godard, entre autres), ces déplacements et ces répétitions qui opèrent et analysent politiquement le monde.
Dans Chaosmogonie, Balestrini ré-invente ce qu’on pourrait appeler une poésie théorique confessionnelle, une poésie où l’intime est entièrement externalisé et prend sa force d’opposition dans l’art toujours libre et violent du montage.
Nanni Balestrini (1935-2019) est né à Milan et a vécu entre Rome et Paris. Poète, membre du célèbre groupe des Novissimi, il est un des protagonistes les plus déterminés de l’avant-garde italienne rassemblée autour du Groupe 63 et a joué un rôle de premier plan dans la création et l’animation de revues comme Il Verri, Ouindici, Alfabeta. Il est l’auteur de Les invisibles (P.O.L., 1992), de Nous voulons tout (Entremonde, 2012) et de La horde d’or. Italie 1968-1977 (L’Éclat, 2017).
Chaosmogonie [Nanni Balestrini]
Traduit de l’italien par Adrien Fischer
Préface de Nathalie Quintane
ISBN : 9791094512142 – 122 pages – 14,00 €
A paraître le 28/08/2020
EN MARGE DU LIVRE
- « Il faut ouvrir la pizzeria. » Recension de Nathalie Quintane
C’est un peu ça, l’expérience balestrinienne : vous êtes au fond de la cuve ; chassé de chez vous ; incarcérable ; défait d’une révolution elle-même défaite ; votre meilleur ami est mort ou bien entaulé — c’est là, précisément là, que vous dîtes que c’est l’année 0, la véritable année 0, que tout est à refaire et qu’on va tout refaire, parce que, c’est ça que tu dis, il n’y a pas domination mais force, force contre force, et la poésie est une opposition. - Recension de Antoine Hummel pour sitaudis
En exposant, dans cette sorte de relais d’énoncés, un flux de pensées progressant par heurts et par bonds, Balestrini met en quelque sorte en pratique la « théorie matérialiste de la contingence » qu’il appelle de ses vœux. Le sujet d’une telle théorie n’est plus qui trouve confirmation de sa lucidité historique dans son propre pessimisme oraculant, mais qui, ayant renoncé à l’espoir sous le nom de l’Événement (la Révolution, l’Insurrection etc.) comme à la linéarité et à la gradualité sous le nom – singulier – du Temps progressif courant vers sa fin, chérit les accidents, les bifurcations, les sauts. - Pensée, parole, lutte. Un souvenir de Nanni Balestrini, de Mario Tronti
Cette coexistence et cette influence réciproque entre avant-gardes artistiques et avant-gardes politiques ont été un fruit du grand vingtième siècle. Mais Nanni les a exprimées d’une façon qui lui est propre. S’il y a un mot, qui est aussi une action, à même de le caractériser, il s’agit d’expérimentation : se pencher vers ce qui n’a jamais été tenté, qui vaut la peine d’être approprié, de devenir la matière de sa passion à vivre. - Optimiste sans espoir. Entretien avec Nanni Balestrini
Ainsi qu’aime à le dire [Umberto] Eco, comme j’ai toujours utilisé le collage verbal, de fait je n’ai jamais écrit une parole qui soit mienne ; c’est une exagération mais il y a une part de vrai, parce que même mes mots je les ai toujours employés de façon impersonnelle. Ici en revanche j’ai laissé parler la langue de mon inconscient, comme si c’était celle d’un étranger.